
Un voyage dans le temps au cœur du village
Ce matin-là, en ouvrant mes volets, quelle surprise ! Des Chapelins vêtus comme sur les vieilles photos des albums de ma grand-mère, déambulent dans les rues. Je me frotte les yeux, croyant rêver. Intrigué, je téléphone à la mairie : « Mais je te rappelle que c’est la journée du patrimoine. L’association Capella et ses bénévoles ressuscitent, le temps d’une journée, un voyage en 1925. Ils ont mis tout leur cœur à reconstituer les lieux emblématiques de cette époque autour desquels se concentrait la vie collective : l’école, le lavoir, le bistrot et les travaux des champs. »
Dont acte ! Vêtu de ma plus belle chemise je vais explorer pour découvrir ce qui se trame.
Je descends vers l’école et j’y arrive après m’être renseigné auprès de deux villageois, heureux de vivre en 1925. Je précise que leurs explications pour se rendre à l’école privilégient plus le chemin de la fantaisie que celui de la ligne droite.

Après tours et détours, enfin…
…L’école

Les enfants sont entrés en rang, cartables sous le bras, plumes et encriers. Après avoir dit bonjour au maître ils s’asseyent à leur pupitre et se lèvent quand le maître entre dans la classe. La classe peut commencer et d’abord le cours d’éducation civique … avant l’arithmétique …


A l’école on apprend l’hygiène et, entre autre, à se laver les mains – le maître vérifiera – et on pratique la gymnastique pour avoir “mens sana in corpore sano” (un esprit saint dans un corps saint)
Je poursuis ma marche sur le chemin du Tacot pour, après une jachère fleurie, découvrir le lavoir duquel s’échappent le bruit de conversations ainsi que des bruits cadencés de coups. Que se passe t-il ? Une dispute ? Des voisins qui règlent un différend ? Des bandes qui s’affrontent ? Prudence oblige ! Je risque un œil et ô surprise ce sont cinq lavandières qui frottent, battent et font sécher le linge.
Le Lavoir

Le lavoir avait tout compris des réseaux sociaux : convivialité, entraide (pour supporter la tâche difficile), partage d’infos… et dramatisation occasionnelle. Finalement, on a juste remplacé la bassine par un smartphone
Et bien sûr, les conflits éclataient régulièrement au lavoir, donnant naissance à la fameuse expression « laver son linge sale en famille ». Parce qu’au fond, mieux valait gérer ses disputes dans le cercle du quartier que devant tout le village… exactement comme on devrait éviter de régler ses comptes publiquement sur Facebook !

Bon ! C’est bien gentil tout ça, mais ça donne soif. Je vais bien trouver une chopine quelque part et un compère qui va me payer un coup. En chemin je croise quelques Chapelins, comme sortis d’une carte postale.

J’ai une impression bizarre. Ils doivent savoir ou est le café vu leur joie intérieure qui transpire. Je leur pose, comme aux autres, la question :“Bé oui mon bon. Pour aller boire eune goutte, vous continuâtes tout drêt pis quand vous voirez la charrotte du pére Mathieu, c’est que v’là rendu. D’ailleu son bidet i connaît bian l’endret. Mais j’vous ai ren dit, hein…
Très bien, c’est tout droit. “Alea jacta est”, le sort me sera favorable. Sur le chemin je rencontre “Tornade” une vache placide et douce, venue s’abreuver à l’endroit même ou ses congénères de 1925 venaient boire.

Mon effort est récompensé ! Bistrot en vue ! Ouf ! le voila enfin, je le sais grâce aux bruits familiers que je reconnais
Le café




“Mais dis donc, t’as entendu parler de cette Joséphine Baker au Music-Hall des Champs ? Paraît que c’est quelque chose son spectacle, la Revue Nègre… Ça fait jaser tout Paris ! Elle met le feu à la scène cette danseuse américaine !” Faudrait p’être en causer à not’maire pour qu’elle vienne à la Chapelle !
Après avoir participé à cette discussion extrêmement intéressante qui fait que le monde ne sera jamais plus comme avant, je me dirige au sons vers l’endroit ou doit se trouver le fermier qui bat son grain pour l’engranger. Bien sûr, comme à chacun de mes déplacements, je croise un quidam, le ramasseur de peaux de lapins, qui parcoure les villages.


“Les peaux de lapins servaient à fabriquer du feutre pour chapeaux et de la colle. Le ramasseur passait de maison en maison les collecter, séchées et tendues sur des fourches en noisetier. Il se déplaçait à charrette, vélo ou à pied. Prix en 1925 : 10-15 centimes selon qualité et couleur.”
J’avance, le bourdonnement s’intensifie. Encore quelques mètres et après avoir traversé la poussière et m’être essuyé les yeux je vois la bête et les hommes qui la nourrissent
Aux champs, le battage
Dure journée pour les batteux après cette journée d’un autre temps, voire d’un autre siècle. Nostalgie, nostalgie.
Mais voilà que les cloches sonnent, rappelant que le temps du voyage touche à sa fin. Laissons les batteux terminer leur ouvrage.
Le soleil commence à décliner et mon estomac, lui, ne voyage plus dans le temps : il est bel et bien en 2025 et réclame son dû !
Heureusement, la Grange-aux-Dîmes nous attend pour le repas.


Me voilà attablé avec cette joyeuse troupe de voyageurs temporels. Costumes défraîchis, coiffures qui ont souffert, mais sourires intacts. On se raconte la journée avec cette satisfaction particulière d’avoir accompli quelque chose d’unique.


« T’as vu comment j’ai battu le linge ? Je n’ai même pas coulé ! » lance fièrement une lavandière. « Et mes élèves, pas un qui a fait l’école buissonnière ! » renchérit le maître. Au café, on s’est tellement pris au jeu qu’on a failli oublier de servir les clients du XXIe siècle…
La soirée se poursuit en musique. Le groupe installe ses instruments et la grange se transforme en bal populaire. Les plus téméraires se lancent dans des danses approximatives – après tout, on n’a pas fait que du patrimoine aujourd’hui, on a aussi fait du sport ! Entre la gymnastique à l’école, le battage du grain et le chemin de croix pour trouver le café, on peut dire qu’on a bien mérité notre repas.
En quittant la Grange aux Dîmes, j’emporte avec moi bien plus que des photos : des souvenirs, des rencontres, et surtout cette certitude qu’il fait bon vivre à La Chapelle, que ce soit en 1925 ou en 2025. Un grand merci à l’association Capella et à tous les bénévoles qui nous ont offert ce magnifique voyage dans le temps. Vivement l’année prochaine !
Nota : Henri Cartier-Bresson remercie ses stagiaires pour leurs excellentes prises de vue : Louisette Achille, Emmanuel Agostini, Laure Boutron, Marie-Charlotte Buisson, Cécile B., Sandrine Cordier, Sylvain Cordier, Sandrine Cornu, Alain Crozet, Maud Marquand, Marielle Rimaud.